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Photo du rédacteurOlivier Bétourné

Révolution!

Ce qu’il y a d’amusant avec la Révolution française, c’est la constance de l’irritation qu’elle suscite du côté de la droite intellectuelle depuis plus de deux siècles. Non pas que celle-ci serait hostile par principe aux institutions surgies de l’événement, pas davantage parce qu’elle réfuterait les principes de la Déclaration des droits de l’homme ou déplorerait l’abolition de l’esclavage en l’an II. Encore que sur ce dernier point, l’affaire s’étant produite sous la Terreur et les robespierristes y ayant tenu les premiers rôles, la retenue de la critique de droite est beaucoup plus manifeste que lorsqu’il est question de Thermidor… Bon. Et alors ? me direz-vous.

Alors rien. Ou plus exactement, rien qui doive surprendre lorsque l’on sait que la Révolution demeure la matrice de la politique en France depuis qu’elle s’est produite. Gauche, droite. Une coupure irréconciliable. Jacobins contre Monarchiens. Souveraineté du peuple contre droit divin. Suffrage universel contre suffrage censitaire. L’extension des droits de l’homme aux droits économiques et sociaux contre une stricte application des principes de 89 à l’exercice de la liberté politique.

Bien sûr, il ne viendrait à l’idée d’aucun responsable politique issu de la droite conservatrice de revendiquer un droit de véto autorisant l’exécutif à s’imposer au Parlement en cas de litige, de prier le ciel pour que soit renoué le fil entre le dernier descendant des Bourbons et Dieu lui-même, de militer en faveur du retour en grâce du système électoral en vigueur sous la Restauration, de biffer d’un trait rageur la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) ou le préambule des Constitutions de 1946 et de 1958 parce qu’ils prennent en considération le sort des déshérités du monde. Non, la droite conservatrice en France, si elle valorise volontiers « 89 contre 93 », La Fayette contre Robespierre, la Constitution de 1791 contre celle de 1793, est partie prenante de ce qui se joue sur la scène politique instituée par la Révolution. Et à ce titre, on peut dire qu’elle participe pleinement de l’ « exception française », cette culture partagée de longue date par un peuple qui sut faire l’admiration du monde entier …autant qu’il l’exaspérait.

Demeurent nos francs-tireurs intellectuels. On les voit à l’occasion sortir de leur tranchée pour faire le coup de feu sur CNews ou telle autre chaîne d’information continue, lâcher une interview vengeresse dans le Causeur ou telle émission de radio bien campée à droite, et brandir le catéchisme contre-révolutionnaire de toujours comme un talisman face à ceux qu’ils tiennent pour des fauteurs de trouble, des partisans de la dictature, des gens sans aveux qui ne renoncent pas à considérer que la guerre expliquerait (pour partie) la Terreur, que la Convention fut le creuset de certaines des plus belles institutions de la France contemporaine, que la Révolution est un « bloc », « un bloc dont on ne saurait rien distraire », selon le mot de Georges Clemenceau. Des gens qui récusent l’idée que 89 mènerait tout droit au massacre khmer rouge.

Amusant spectacle un peu hors d’âge, suggérais-je en commençant. Beaucoup moins drôle tout de même depuis que, de toutes parts, s’élèvent des cris vengeurs contre une République jugée trop complaisante avec ses adversaires intégristes, contre une démocratie tombée aux mains des élites et des profiteurs, un Etat de droit incapable d’assurer la sécurité des honnêtes gens.

République ? Démocratie ? Etat de droit ? Ces trois piliers de notre modernité politique sont précisément des créations révolutionnaires. On peut juger indispensable d’en entreprendre la modernisation, et nous sommes en effet nombreux à le penser, à droite comme à gauche. On peut au contraire souhaiter en finir avec elles au nom de la restauration de l’autorité, de la défense de l’identité française et de l’urgence qu’il y aurait à assurer la prééminence de la sécurité sur l’exercice des libertés publiques. Programme anti-Lumières auquel font depuis peu écho, de l’autre côté de l’échiquier politique, ceux qui voudraient en finir avec le principe de laïcité et contestent à l’Etat de droit sa légitimité au nom de la défense d’autres identités qui se disent « offensées » et souvent le sont. Mais est-ce la bonne manière de favoriser l’ émancipation ? Certainement pas.

Dans ce contexte-là, vous jouez avec le feu, Mesdames et Messieurs de la droite intellectuelle qui traînez dans la boue les inspirateurs et les fondateurs de la République. Mais soyez bien assurés que vous nous trouverez toujours sur votre chemin pour souffler l’esprit de la Révolution française, qu’il s’agisse d’en rappeler la gloire aux générations qui viennent ou de réfléchir à ses errements et à ses échecs.

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