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  • Photo du rédacteurOlivier Bétourné

Face à l’extrême-droite

     La droite a donc  rejoint l’extrême-droite. On a peine à croire qu’un parti  se réclamant  du gaullisme historique  travaille  avec autant d’ardeur à la ruine de l’Etat de droit, mais c’est un fait. Ciotti, Retailleau, Bellamy et consorts n’hésitent plus, à l’égal du Rassemblement national, à dénoncer le « gouvernement des juges », à remettre en cause la hiérarchie des normes, à taxer de « coup d’Etat de droit » (Wauquiez) le dernier arrêt du Conseil constitutionnel, à opposer la souveraineté du peuple aux institutions juridiques qui en émanent et l’encadrent. Un pas de plus et  nous  verrons Les Républicains patauger dans les eaux boueuses de Reconquête!, nous les entendrons exiger la remigration des Français de fraîche date et la sortie de la France des traités européens.

     Certes, ce retour de nostalgie pour les politiques autoritaires des années trente n’est pas une spécialité française. Si l’on en croit le site d’investigation allemand Correctiv, une réunion s’est tenue à Potsdam, le 25 novembre 2023, pour discuter d’un projet d’expulsion massive de certaines catégories d’étrangers installés en Allemagne et d’Allemands d’origine étrangère. Y ont participé plusieurs responsables et autres soutiens de l’Afd  (Alternativ für Deutschland), le parti xénophobe que les instituts de sondage créditent de plus de 20% des intentions de vote aux prochaines élections européennes.  De Wannsee à Potsdam, il y a dix minutes en train. Les participants auront apprécié la délicate attention des organisateurs. 

    Alors bien sûr, Marine Le Pen a protesté : pas question de compromettre le Rassemblement national dans cette galère, et la candidate putative aux présidentielles de 2027  s’en est ouverte bien franchement par voie de presse aux responsables du parti allemand : c’est que l’Afd et le RN siègent ensemble au sein d’ « Identité et Démocratie », l’un des trois  groupes  d’extrême-droite au Parlement européen. Pour autant,  on  ne doute pas qu’un terrain d’entente sera bien vite trouvé entre les deux partenaires : ce n’est vraiment pas le moment d’enrayer la « normalisation » en cours au sein de l’ex-Front national, ce n’est pas le moment non plus de fragiliser l’alliance des extrême-droites européennes. Et qui douterait qu’au sein du Rassemblement national, la perspective de régler son compte à cette « racaille »  que le droit du sol a autorisé à se dire française fasse vibrer la corde identitaire de plus d’un militant?

     La révélation de Correctiv a réveillé l’ Allemagne : 1,4 million de manifestants dans tout le pays le week-end suivant la révélation. Et  cette puissante réaction  de la société civile est sans aucun doute  à l’origine de l’échec électoral  que l’Afd vient de connaître en Thuringe. Et en France ?

     Un événement récent aurait pu jouer les détonateurs. On se souvient qu’à Crépol, dans la Drôme, un jeune garçon avait été poignardé à mort le 19 novembre dernier à la suite d’une rixe … dont on sait encore peu de choses. Pourtant,  sans attendre le début d’une preuve, l’extrême-droite  a entrepris le jour même  de dénoncer un « crime anti-blanc »,  un « francocide » commis par une bande de maghrébins  issue d’une cité voisine. La presse Bolloré (Cnews, JDD, Europe 1, etc.) aura aussitôt orchestré la scénographie, accusant tout azimuth,    insinuant, imputant, menaçant tous ceux, observateurs ou citoyens, qui prétendaient connaître avant de juger. La cible des obsédés du Grand remplacement : les Français d’origine étrangère. Et, au-delà, la politique d’immigration « inspirée  par la gauche » depuis un demi-siècle.

      Une semaine plus tard, une fois l’opinion  chauffée à blanc par la presse de droite tout entière et les chaînes d’information en continu, un commando d’« identitaires » a entrepris une ratonnade dans le quartier pointé du doigt : munis de barres de fer et de matraques, ils ont tenté de forcer le barrage de police qui interdisait l’entrée dans la cité. Ils en auront été empêchés par les forces de l’ordre,  et  certains d’entre eux  seront condamnés en comparution immédiate. Mais la logique mortifère de l’opération « punitive » hante encore les lieux.

    La justice rendue par les médias, les « suspects » condamnés avant d’être jugés, le lynchage promis aux étrangers « coupables », voilà qui nous rappelle bien des choses, n’est-ce pas ? Et que fait la gauche pendant ce temps ? Rien,  ou à peu près rien. A la gauche de la gauche on se complaît dans la démagogie électoraliste et le « crétinisme (anti)parlementaire », selon l’heureuse  expression de Marx et Engels actualisée par  Trotski,  tandis qu’ailleurs  on se livre à un festival de tirage de nattes pour savoir qui sera tête de liste aux Européennes : chacun(e)  rivalise d’éloquence  pour justifier son refus de l’alliance. Soyons généreux : on peut penser aussi que le doute qui s’est emparé de la gauche  en proie aux critiques venues du féminisme ultra et du projet décolonial n’est pas  pour rien dans ces atermoiements. Mais quel triste spectacle ! L’Etat de droit ne serait donc qu’un  rideau de fumée soufflée par les dominants pour  masquer les inégalités réelles ? Certains semblent près de le penser. 

    Serait-ce trop vous demander, Mesdames et Messieurs les politiques, de prendre la mesure de la menace et de réfléchir en coordination avec tous les Européens de bonne volonté à la meilleure façon d’assurer la résistance au fascisme qui vient?  


Sur le traitement médiatique et politique de l’affaire de Crépol, on lira la remarquable enquête de Yann Bouchez publiée en ligne  par  le Monde, le 31 décembre 2023, sous le titre : « Mort de Thomas à Crépol : le grand emballement ».

     

    


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