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  • Photo du rédacteurOlivier Bétourné

La grande trahison des conservateurs

La gauche en France répugne traditionnellement à partager avec ses adversaires de droite la gloire attachée à la Révolution de 1789. Et pourtant, nul ne saurait contester aux monarchistes constitutionnels un constant dévouement à la cause de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen votées par eux en août 1789. Que les chemins entre les deux grandes familles politiques se soient ensuite séparés n’y change rien : la Révolution de la liberté, entreprise à l’initiative de la noblesse libérale et des « patriotes », est tout autant de droite que de gauche puisque le combat fut mené conjointement par les uns et les autres contre les partisans de l’Ancien Régime.

Or, voici que cette droite conservatrice renie aujourd’hui ces principes. Ce n’est certes pas une première dans l’histoire contemporaine, mais la rupture n’en est pas moins spectaculaire. Parce que les deux candidats issus de l’extrême droite semblent en mesure de rallier près de 35% des suffrages, parce que la droite conservatrice ne pèse à cette heure que la moitié de cette force-là, nos Républicains semblent disposés à brader sans vergogne les principes sur lesquels leurs lointains ancêtres ont contribué à asseoir les institutions de la France contemporaine.

Révision du statut des Français de «fraîche date » (ou « de papier » comme on dit maintenant) en vue de leur probable expulsion du territoire, bannissement des étrangers « qui n’ont rien à faire chez nous » (et peu importe leur statut, si l’on comprend bien), suppression du droit du sol, assimilation forcée de qui est autorisé à résider chez nous, interdiction de tout signe religieux dans l’espace public : tels sont quelques-uns des bonheurs que nous promet le croisé du Grand Remplacement. Je passe sur le rétablissement de la peine de mort. Et que chacune de ces mesures enfreigne la loi constitutionnelle ou les engagements de la France importe peu à notre nouveau Charles Martel : s’il est élu président, il promet de ne jamais se soumettre au « gouvernement des juges ». Pas plus au Conseil constitutionnel qu’au Conseil d’Etat, sans plus respecter la hiérarchie des normes que la séparation des pouvoirs. Et que trouve à redire la droite conservatrice ? Rien. Rien qui se fasse clairement entendre.

Je sais bien que certains militants venus de la droite modérée n’en pensent pas moins. Et comment ne pas avoir été saisi d’effroi au spectacle de la surenchère à laquelle se sont livrés les candidats aux primaires de la droite républicaine ? On imagine la tête d’Alain Juppé. C’était à qui renverrait « chez eux » le plus de clandestins possibles (l’absurde le dispute ici à la démagogie), réduirait à la portion congrue le nombre d’étudiants « étrangers » accueillis chaque année dans nos universités, combattrait avec le plus d’efficacité « les abus du droit d’asile », adapterait le nombre de ses bénéficiaires aux « capacités d’accueil » de notre pays (à peu près nulles, si l’on comprend bien) . C’était à qui, enfin, remettrait en cause avec le plus de vigueur le sacro-saint principe d’intégration républicaine des minorités au nom de la « nécessaire » assimilation des musulmans de France à la culture nationale –des musulmans invités, autrement dit, à renoncer à ce qu’ils sont ou à aller se faire pendre ailleurs. « La France, tu l’aimes ou tu la quittes » disait jadis Philippe de Villiers. A moins que ce ne soit Jean-Marie Le Pen ?

La rupture avec les principes au nom desquels le comte de Clermont-Tonnerre fixa, en décembre 1789, la doctrine de l’intégration des minorités religieuses saute aux yeux : égalité des droits, dissolution des structures communautaires et des corps religieux, liberté absolue de vivre selon son goût ou sa culture – de pratiquer les rituels de sa religion, de partager son repas avec qui bon vous semble et de manger ce que l’on désire partager avec lui, professait le lointain ancêtre de nos conservateurs. Autrement dit, tout ce que la loi (votée le 28 septembre 1791) demanderait aux Juifs (puisque c’est dans la perspective de leur « émancipation » que cette doctrine fut avancée), ce serait d’être individuellement citoyen. Leur vie, ils la mèneraient comme ils l’entendraient. Dans la liberté, comme n’importe quel autre citoyen.

C’est cette doctrine qui inspira la « laïcité à la française », n’en déplaise aux agités du Printemps républicain. Mais elle fut bien sûr aussitôt contestée par tous ceux qui auraient voulu qu’on imposât aux Juifs, en contrepartie de l’accession à l’égalité des droits civils et politiques, le renoncement à leurs rituels et à leurs pratiques religieuses si mal supportées par les catholiques de France en général –et par les plus intégristes d’entre eux en particulier.

La même exigence est adressée aujourd’hui aux populations musulmanes au nom d’un prétendu « principe de laïcité » que n’auraient pas désavoué les contradicteurs du comte de Clermont-Tonnerre il y a plus de deux siècles . A rebours, donc, de la tradition issue de la Révolution française.

La gauche a longtemps suspecté la droite, en France, d’être disposée à brûler ses principes sur l’autel des intérêts économiques des possédants. Pas faux. Mais la grande famille de la droite conservatrice fait pire aujourd’hui : elle les trahit pour un plat de lentilles électoral quand on attendrait d’elle qu’elle assume sa tache historique : combattre avec fermeté la menace que le retour de la bête immonde fait peser sur la France. Tout indique que le coût politique de cette trahison-là sera très élevé.


On trouvera l’exposé de la « doctrine » du comte de Clermont-Tonnerre dans le Moniteur, t.2, 23 décembre 1789, et le texte du décret du 28 septembre 1791 dans le même Moniteur, t .9, 29 septembre 1791. Voir également le remarquable livre de Maurice Samuels, The Right to Difference : French Universalism, Chicago University Press, 2019, ainsi que l’article que l’historien américain a donné au journal Le Monde (1er et 2 janvier 2021) sous le titre : « Dès 1789, le républicanisme français s’est montré ouvert au particularisme religieux.»


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